mercredi 8 janvier 2020

Déjà des "gilets jaunes" au XIX° siècle!!!



Le 2 décembre 1851, Louis Napoléon Bonaparte, Président de la République française depuis trois ans, décide de conserver le pouvoir à quelques mois de la fin de son mandat alors que la Constitution de la Deuxième République le lui interdisait. Pour ce faire, il proclame la dissolution de l'Assemblée Nationale et la préparation d'une nouvelle constitution, favorable à son maintien au pouvoir. 













Si, à Paris, le peuple ne réagit guère pour défendre une assemblée conservatrice qui l’a dépouillé d'une partie de ses droits politiques, ce n’est pas du tout le cas  en zones rurales pour près d'une trentaine de départements.










La résistance s’organise et, dans certains endroits, les républicains prennent les armes et marchent sur les chefs-lieux. Cette résistance menée à Paris ou en province par les républicains, et par des membres du parti de l’Ordre non ralliés est  réprimée par l'armée en quelques jours.







Même si les archives ne témoignent guère de ce mouvement, on pressent derrière les écrits publics et privés un mouvement populaire conséquent et une agitation portée par les ambulants et les colporteurs qui donnaient des nouvelles de village en village. Tout ce qui reste d’officiel de cette agitation populaire, ce sont les sentences des différents tribunaux installés par le pouvoir pour réprimer l’expression du peuple sur le territoire.






Pour revenir à cette année 1851, sur l'ensemble du territoire, plus de 30 000 individus seront arrêtés. Ils se verront inculpés par des commissions établies à cet effet. Cette résistance est présentée comme  jacquerie par la propagande bonapartiste ; elle crédibilise alors rétrospectivement le mythe d’une guerre sociale en préparation qui justifie l’action répressive.

Selon les faits et la clémence de la commission, les sentences varieront de la relaxe à l’exil.




Sur la seule ville de  Neufchâteau, 12 personnes seront concernées. 

Voici ce qu’en disent les procès- verbaux des commissions mixtes départementales qui les ont jugées :

FOURNIER Joseph, 22 ans, né à Neufchâteau, marié 1 enfant, forgeron à Bar le Duc.
Accusation: « coupable d’offenses graves envers le chef de l’état. »
Décision: Relaxé
NEEF Auguste, 23 ans, né à Neufchâteau, célibataire, berger à Semilly (52)
Accusation: « Il a été l’un des organisateurs de la société secrète du canton de St Blin et a fait des recrues pour cette société. »  
Décision: Exilé en Algérie »
VOIGNIER Charles Joseph, 45 ans, né à Neufchâteau, marié, 2 enfants, cordonnier à Paris.
Accusation: « Signalé comme dangereux en raison de l’exaltation de ses opinions. Un poignard et des écrits socialistes ont été trouvés chez lui. »
Décision: Exilé en Algérie
BUFFET Pierre, 40 ans, né dans la Marne, marié, 3 enfants, négociant à Neufchâteau.
Accusation: « Homme exalté. Caractère sombre et violent. A figuré dans toutes les manifestations. Cherchait à exciter les passions  par ses discours exaltés. »
Décision: Eloignement momentané.
CONTAU Charles Gaspard, 50 ans, né à Epinal, marié, 2 enfants, marchand de fer à Neufchâteau.
Accusation: « Considéré comme un des chefs du parti socialiste. Propagandiste. » 
Décision: Surveillance
KROUBERT Antoine Joseph, 50 ans, né à Voyer, département de la Meurthe (54 ), célibataire, ancien directeur de l’école normale, domicilié à Neufchâteau.
Accusation: « Prêtre réfractaire, Etait à la tête du parti socialiste dans l’arrondissement de Neufchâteau. Exerçait une influence pernicieuse sur la classe ouvrière et sur les instituteurs qu’il convoquait pour leur inculquer les mauvais principes. »
Décision: Expulsé.
LIEVRE Charles,  32 ans, né à Langres, marié, 1 enfant, artiste vétérinaire à Neufchâteau.
Accusation: « Agent socialiste actif Sans trop savoir pourquoi, il s’est jeté dans les rangs du parti exalté en prenant part à toutes les réunions démagogiques. »
Décision: Surveillance
RAPIN Charles Auguste Félix, 39 ans, né à Pleuvezain,  marié, 2 enfants, rentier à Neufchâteau.
Accusation: « Socialiste exalté. Cris séditieux et offenses envers le Prince Louis Napoléon. Signalement pour comportement violent. »
Décision: un mois d’emprisonnement, 100 fr d’amende.
VIENNET Jean Baptiste, 29 ans, né dans la Marne, célibataire, caissier de banque à Neufchâteau.
Accusation: « Propagandiste actif logé dans un café de Neufchâteau dont la chambre serait de club où étaient admis des affidés sur lesquels on pouvait compter pour distribuer brochures et journaux qui se colportaient dans les campagnes. »
Décision: internement dans l’Ille et Vilaine 
HUSSON-BRIELLE Charles Antoine, 34 ans, né à Bulgneville, marié, 4 enfants, négociant.
Accusation: « Rejoint les socialistes suite à une banqueroute. Est parvenu à faire de nombreux prosélytes. En relation avec des journaux démagogiques de la Meurthe pour engager une polémique déloyale contre les honnêtes gens de l’arrondissement de Neufchâteau. »
Décision: Internement dans la Mayenne
POUGNY Ambroise Augustin, 47 ans, né à Liffol le Grand, célibataire, juge au tribunal de Chaumont
Accusation: « fait partie des 13 individus accusés de s’être retrouvés dans une salle particulière dépendant du café où se réunissait sans autorisation un cercle de démagogues. »
Décision:  Relaxé
VOIRIN Nicolas Armand, 26 ans, né à Vouxey, célibataire, vigneron à Dolaincourt.
Accusation: « propagandiste très actif dans le canton de Châtenois. Il faisait de fréquents voyages à Neufchâteau et chaque fois en rapportait des journaux et des brochures dont il était donné lecture dans les veillées de ces communes. »
Décision: internement dans le nord



La suite de ce coup d’état, on la connait :
Louis-Napoléon rétablit le suffrage universel masculin, et convoque les Français par un plébiscite les 20-21 décembre 1851 afin de faire approuver son action et les réformes annoncées.
Le 2 décembre 1852, à la suite d'un autre plébiscite, c’est la naissance du Second Empire,  Louis-Napoléon Bonaparte devenant « Napoléon III, empereur des Français ».




Heureusement, ce temps est révolu et il paraît inimaginable, aujourd’hui, que le président de notre République mette en œuvre de telles répressions à l’encontre de l’expression de son opposition. Quoi que…

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