jeudi 21 mai 2020



Ce n’ame po tojo ! /  ce n’est pas pour toujours !



Nous avons vu dans un article précédent le travail délicat que le colonel Laussedat a effectué pour le nouveau tracé de la frontière est du pays.




Comme il le disait volontiers, il ne s’attendait pas à une reconnaissance de son engagement et de son  souci de défendre les intérêts de la France ; il estimait accomplir honnêtement la tâche qui lui avait été confiée. Mais cela fut vrai bien au-delà de ce qu’il pouvait imaginer ! Son nom, s’il est connu aujourd’hui, c’est essentiellement parce qu’il est lié à des missions internationales de géographe et de scientifique.  Rien sur son rôle dans le travail d’une nouvelle frontière. 







Pas un nom de rue, pas une reconnaissance de la part des villages frontaliers qu’il a eu le souci de préserver !
Tout juste  une place et une rue à Moulins, une rue à Yzeure et une avenue à Chelles !






Cependant, dans un petit village vosgien, le souvenir de Laussedat demeure dans les esprits et dans les cœurs. 

Cette exception est illustrée à l’époque par la correspondance du curé de Raon sur Plaine…



Une missive de l’abbé Fortier



Parc Laussedat à Yzeure, sa ville natale
Au terme de sa mission difficile, Laussedat était rentré avec son épouse dans le Bourbonnais, à  Yzeure plus exactement, le 1er octobre 1871. En cette fin d'année, il est  nommé professeur de géométrie appliquée, au Conservatoire des Arts et Métiers.








Raon sur Plaine
Et c’est là que, contre toute attente, Laussedat reçoit ce qui sera la seule lettre de remerciement qui lui soit envoyée au terme de sa mission, une missive de l'abbé Fortier, curé de Raon-sur-Plaine. Au nom des habitants du village, le prêtre remercie le colonel de son engagement à défendre ce village et une fraction de ses terres sous le plateau du Donon qui ont alors recouvré la nationalité française.


« Grâce à votre concours, nous voici enfin Français ! Soyez en béni, mille fois béni ! … le tracé définitif de la frontière est quasiment acquis. Les communes de Raon-lès-Leau et de Raon-sur-Plaine redeviennent françaises, et ce, mon colonel, grâce à votre précieux concours. »



Pèlerinage de Sion.

Le pèlerinage catholique de la colline de Sion attire chaque année des foules impressionnantes venant de toute la Lorraine, et même au-delà.



Après l’annexion de l’Alsace-Lorraine, ce pèlerinage ne faiblit pas. Il revêt même une signification toute particulière pour la population: l’espoir de recouvrer la nationalité française. En effet, une partie des pèlerins est devenue allemande à la faveur du traité de Francfort ; pour eux, faire le pèlerinage, c’est désormais franchir une frontière.









Le 8 septembre 1873,






Une foule impressionnante de pèlerins se retrouve à Sion. Ils décident de mettre l’Alsace et la Lorraine sous la protection de Marie. Une plaque est apposée dans la basilique Notre-Dame-de-Sion. Elle témoigne de leur foi en Dieu et en la patrie. Une croix de Lorraine brisée symbolise la patrie mutilée par la nouvelle frontière, avec ces quelques mots en patois lorrain : « ce n’ame po tojo ».








C’est à la suite de ce pèlerinage, deux ans après l’annexion, que le colonel recevra une autre lettre du curé de Raon. Il y parle du pèlerinage de Sion:
« De toute la Lorraine, libre et annexée, du Saintois, du Saulnois, de la Vôge et du Vermois, du Pays Messin au pays de Sarrebourg, du Lunévillois jusqu’à la plaine d’Alsace, on a vu affluer à Sion une foule impressionnante de fidèles, de familles décomposées par l’annexion, de jeunes gens prêts à prendre les armes, de veuves éplorées et de vieillards mornes et silencieux. Au total pas moins de trente mille personnes ! … pour apposer dans l’église une plaque de marbre noir figurant une croix de Lorraine brisée. Notre croix à double traverse, comme pour nous rappeler qu’ici on souffre deux fois plus qu’ailleurs. Brisée, cassée par la nouvelle frontière.
… Voilà, mon colonel, la promesse que les Lorrains ont faite à Sion, mercredi ! Que cela ne serait pas pour toujours. »






Epilogue



Le 24 juin 1920, des pèlerins de toute région se retrouvèrent rassemblés sur la colline, mais cette fois pour célébrer la victoire. A cette occasion, Maurice Barrès apposa sur la croix brisée une petite palme dorée symbolisant l'unité retrouvée de la Lorraine.










Le 8 septembre 1946, la fête de l’unité réunit 80000 personnes à Sion. Le Général de Lattre de Tassigny  placera  sur l’autel une nouvelle croix de marbre avec ces mots lorrains : « Astour hinc po tojo. » ( Et maintenant unis pour toujours)








Cent ans après la première inscription, fut ajouté le mot « réconciliation », en français uniquement.






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